Journal de Paul-Marie Coûteaux

"Une certaine Idée de la France et du monde"

La vertigineuse addition des délires du système des partis, de l'égotisme de notre bocal politique où se sont perdus, hélas, ceux qui ont tour à tour prétendu relever le drapeau, d'une longue suite de gouvernements nuls, de l'incurie de dirigeants qui n'ont de responsables que le nom et, par-dessus tout, de l'oubli par notre peuple de tout souci de lui-même, a créé autour de nous une situation certes douloureuse mais que la France a souvent connue : le chaos. Nous voici près de ce que Bainville appelait la "récurrente anarchie française", dont nous n'apercevons encore que les premiers prodromes. Ce n'est pas une raison pour croire que la France se meure. Qui connaît l'Histoire sait qu'elle en a vu d'autres, et que l'essentiel est toujours, et en dépit de tout, de faire vivre une idée de la France, et à travers elle une idée de la diversité et de la beauté du monde. Cette idée resurgira tôt ou tard : il suffit de la garder au coeur, de distinguer ce qui meurt et ce qui vit, de voir, de comprendre, de protéger la langue, et d'écrire. Voici la suite d'un journal que je tiens depuis 1992, dont j'ai déjà fait paraître des extraits dans un ouvrage, "Un petit séjour en France", ainsi que divers blogues-notes, "For intérieur" puis "Une certaine Idée"...


mardi 14 janvier 2014

Journal de campagne à Paris (janvier - mars 2014)


Vendredi 10 janvier 2014. -- Drôle d'impression, l'autre soir : tandis que, assez tard après minuit, je rentrais rue de Rennes et traversais la place Saint-Sulpice, majestueuse et calme comme elle l'est de coutume à cette heure, je fus intrigué par un inhabituel bruit de fête. D'où venait-il ? Je connais autour de cette place quelques fêtards patentés, mais cette fois le vacarme venait d'ailleurs ; la mairie pensais-je d'abord, avant de m'approcher et de la découvrir calmement endormie sous son fin clocheton et ses brumes de pluie. Hélas, c'était son voisin le Commissariat qui était en fête, et j'aperçus clairement, à l'étage dont les fenêtres étaient ouvertes, car il semblait qu'on avait chaud, de joyeux braves qui s'apostrophaient, un verre à la main, la musique d' « ambiance » n'empêchant pas que l'on captât fort clairement quelques éclats de voix. J'espérais in petto que les habitants de l'arrondissement n'avaient pas recours à ce précieux service public, et me répétais qu'il était normal que l'on se donne un peu d'air dans les Commissariats de police, de temps en temps, les nuits calmes...

       En réalité, une sourde angoisse monta d'un coup, et ne me quitta plus tandis que je prolongeais ma route par la rue de Mézières : d'un côté, je voudrais continuer à penser que, de tous les services publics, la Police et la Gendarmerie sont ceux qui se tiennent encore le mieux. Mais se tenir, justement, voilà qui est pour eux de plus en plus difficile, quand leurs efforts sont régulièrement torpillés par (une bonne partie de) la Magistrature, laquelle campe sur une pompeuse posture de « contre-pouvoir » que rien ne justifie dès lors que le « Pouvoir » qu'il s'agit de contrer, Parlement en tête, procède des urnes, aussi imparfaite en soit la représentation, et donc du peuple français – peuple que les sires de la Magistrature, certes, méprisent tranquillement, et désormais ouvertement, comme le récent épisode dit du « mur des cons » l'a montré, ou confirmé. A cette revendication de « contre-pouvoir » qui n'est qu'un corporatisme fanatique, se mêle un copieux paquet d'insolence quand ces misérables la drapent dans les plis de la « démocratie », dont ils se voudraient les garants, quand bien même, cette démocratie qui est bel et bien « pouvoir du peuple » (demos/kratos) leurs prétentions et leur laxisme sont-ils en train de la torpiller. L'un des pires effets de la posture dite « indépendance de la magistrature » qui est une imposture quand elle n'est plus qu'une indépendance voilée vis-à-vis du peuple souverain, est évidemment de décourager année après année les plus zélés agents de l'ordre public. Or, nous y sommes, et la boum du Commissariat de police me paraît à cela tristement reliée. Je ne sais plus le nom de ce Général, présenté comme le « numéro 3 » de la Gendarmerie Nationale, qui déclarait avant-hier, devant une commission parlementaire, que  60 % des personnes interpellées dans les Bouches-du-Rhône en novembre dernier ont quitté libres le Tribunal dans les jours qui suivirent – y compris les récidivistes, d'ailleurs nombreux parmi les interpellés....

      Je ne pouvais plus, hier au soir, m'empêcher de regarder en face cette horreur : que plus aucun service public ne saurait remplir son rôle si les principaux autres, Education, Justice, et jusqu'au plus élémentaire (en principe) contrôle des frontières, n'accomplissaient plus leurs missions. Et de nouveau se dressa devant moi, tandis que je tentais un trop tardif sommeil, l'ombre de ma vieille hantise, l'anarchie – toujours plus proche qu'on ne le croit, ce dont l'Histoire montrerait mille exemples si l'on gardait encore en tête deux sous d'Histoire.

    Pourquoi aurions-nous des services publics dès lors qu'il n'y a plus d'Etat – et pourquoi aurions-nous un Etat dès lors qu'il n'y a plus de nation ?

   Je retourne dans ma tête cet imparable raisonnement. Comme est fragile la civilisation dès lors que, la nation se dissolvant, ou se refusant elle-même, toute la chaîne de l'ordre public se relâche ; c'est à vous empêcher de dormir...

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