Journal de Paul-Marie Coûteaux

"Une certaine Idée de la France et du monde"

La vertigineuse addition des délires du système des partis, de l'égotisme de notre bocal politique où se sont perdus, hélas, ceux qui ont tour à tour prétendu relever le drapeau, d'une longue suite de gouvernements nuls, de l'incurie de dirigeants qui n'ont de responsables que le nom et, par-dessus tout, de l'oubli par notre peuple de tout souci de lui-même, a créé autour de nous une situation certes douloureuse mais que la France a souvent connue : le chaos. Nous voici près de ce que Bainville appelait la "récurrente anarchie française", dont nous n'apercevons encore que les premiers prodromes. Ce n'est pas une raison pour croire que la France se meure. Qui connaît l'Histoire sait qu'elle en a vu d'autres, et que l'essentiel est toujours, et en dépit de tout, de faire vivre une idée de la France, et à travers elle une idée de la diversité et de la beauté du monde. Cette idée resurgira tôt ou tard : il suffit de la garder au coeur, de distinguer ce qui meurt et ce qui vit, de voir, de comprendre, de protéger la langue, et d'écrire. Voici la suite d'un journal que je tiens depuis 1992, dont j'ai déjà fait paraître des extraits dans un ouvrage, "Un petit séjour en France", ainsi que divers blogues-notes, "For intérieur" puis "Une certaine Idée"...


lundi 3 novembre 2014

Vendredi 31 octobre deux mil quatorze

À Paris, je m'offre pour la première fois depuis longtemps une journée entière à lire : une de ces ivresses de lecture que je ne peux généralement me permettre qu'à Mirebeau. Jean-Christian Petitfils, que j'ai eu tout à trac, voulant me distraire de la politicaille, l'idée d'inviter à mon prochain mercredi de Courtoisie, me fait porter son « Louis XV » dont il m'annonce qu'il doit paraître la semaine prochaine – « actu » à laquelle je ne m'attendais pas et qui certes tombe à pic. Ai plongé dans ce gros volume avec ravissement, tout à la joie de mon temps retrouvé depuis que le SIEL et autres plaisanteries ne l'accaparent plus...

       Dès les premières pages, je fus ébahi par la qualité de la plume, la richesse du vocabulaire (bonheur si décalé des mots rares ou archaïques), et par-dessus tout la puissance des évocations : historien et écrivain ! Le livre s'ouvre sur une méticuleuse description du réveil de Versailles, dans l'aube d'un matin de l'hiver 1710, ce matin glacé qui voit naître le futur roi au milieu de la Cour, toute entière réunie autour de la table de douleur d'Adélaïde de Savoie... Cette qualité de plume est la marque des grande historiens, et l'on pourra sans doute inscrire Petitfils dans la lignée des Michelet ou Bainville. Pas de doute, je n'aurai nul autre invité mercredi ; grand hâte d'enregistrer ce tête-à-tête. 

Marie-France Garaud me disait l'autre jour craindre que la France n'ait bientôt plus de grands historiens ; et certes, après les Braudel, Duby, Miquel, et Le Goff récemment disparu, et tandis que Fumaroli, Decaux ou Le Roy Ladurie sont gagnés par l'âge, on ne voit pas si clairement la relève (Audran, Tulard, sans doute quelques autres aussi que j'oublie à l'instant mais qui ne sont pas de la première jeunesse), comme si la France moderne, si décidée à se tourner le dos elle-même, n'avait plus le souci de ce qui la fait vivre depuis ses origines, une Histoire – cela peut-être depuis la première « Histoire des Francs » du lointain Grégoire de Tours... Sans doute les historiens spécialisés, et trop spécialisés, dans le XXe siècle, principalement la Grande Guerre 1914-1945, abondent-ils ; mais ils fleurètent un peu avec l'idéologie, et le ressassement accusatoire, qui est bien le contraire d'une histoire nationale – ce que l'on ne nomme plus qu'avec mépris, le « roman français ». Petitfils, bien qu'il ne sorte pas du moule universitaire, et peut-être grâce à cela, échappe au prurit contemporanéiste : de la fin du XVIe jusqu'au XXe siècle, il couvre une belle continuité – sans parler de son monumental « Jésus ». Voilà bien un sujet à aborder avec lui mercredi soir...


En 1711, peu après la naissance du futur Louis XV, le Grand Dauphin, son grand-père, meurt de la vérole noire. Louis XIV ne peut cependant accompagner l'agonie de son fils, le protocole interdisant au roi de rester dans la maison d'un mort ; signe supplémentaire de l'incompatibilité, dans l'Ancienne France, de la royauté et de la mort, détail si riche de sens... (de même l'abondance des couleurs dans les parures de la Cour, couleurs souvent vives telles que les décrit avec luxe de détails Petitfils – autre signe plein de sens quand, dans nos jours très « républicains », presque tout le monde s'habille en noir...).       

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