Journal de Paul-Marie Coûteaux

"Une certaine Idée de la France et du monde"

La vertigineuse addition des délires du système des partis, de l'égotisme de notre bocal politique où se sont perdus, hélas, ceux qui ont tour à tour prétendu relever le drapeau, d'une longue suite de gouvernements nuls, de l'incurie de dirigeants qui n'ont de responsables que le nom et, par-dessus tout, de l'oubli par notre peuple de tout souci de lui-même, a créé autour de nous une situation certes douloureuse mais que la France a souvent connue : le chaos. Nous voici près de ce que Bainville appelait la "récurrente anarchie française", dont nous n'apercevons encore que les premiers prodromes. Ce n'est pas une raison pour croire que la France se meure. Qui connaît l'Histoire sait qu'elle en a vu d'autres, et que l'essentiel est toujours, et en dépit de tout, de faire vivre une idée de la France, et à travers elle une idée de la diversité et de la beauté du monde. Cette idée resurgira tôt ou tard : il suffit de la garder au coeur, de distinguer ce qui meurt et ce qui vit, de voir, de comprendre, de protéger la langue, et d'écrire. Voici la suite d'un journal que je tiens depuis 1992, dont j'ai déjà fait paraître des extraits dans un ouvrage, "Un petit séjour en France", ainsi que divers blogues-notes, "For intérieur" puis "Une certaine Idée"...


lundi 8 décembre 2014

Jeudi 4 décembre deux mi quatorze ; sur la vie d'hiver à Mirebeau ; sur le conflit de stratégie qui éclate au Front national.

À Paris, derechef depuis hier au soir... Comme d'habitude, écrire est ici  nettement plus difficile, et je n'ai rien de plus pressé que de rentrer à Mirebeau, où la vie est, l'hiver, plus close, plus solitaire est plus douce. Grand hâte de retrouver les levers matinaux, la lampe qu'il faut allumer à neuf heures quand je m'installe à ma table, la grisaille tranquille des jours, le silence des chats – deux à présent, car j'ai finalement décidé d'adopter la petite chatte de gouttière qui, depuis l'été, venait de plus en plus souvent faire des frais à M. Pelléas, s'était d'abord installée dans le jardin et passait par la chatière de la buanderie pour partager sa pitance dès que la voie était libre, puis finalement s'est installée dans la maison, d'abord en se cachant, puis s'enhardissant peu à peu jusqu'à se laisser caresser, après quoi l'adoption était inévitable... Et retrouver les feux de cheminée allumés à l'heure du thé, avant de refermer les volets et d'éclairer de pièce en pièce la grande maison calfeutrée, les courses à la nuit tombée sur la place du village humide et sombre, les dîners en musique et les lectures commencées de bonne heure. À Paris, je ne parviens pas à respecter si bien mes rites – et même pas du tout...

Du coup, j'ai pris du retard dans ce journal, au point de sauter toute une semaine – pourtant riche en évènements, ne serait-ce que le Congrès du Front national samedimanche dernier à Lyon. J'avais, par un petit article envoyé vendredi dernier au site « Boulervard Voltaire », anticipé l'apparition, ou la confirmation, manifeste lors de ce congrès d'un conflit de stratégie entre celle de sa nièce Marion, qui incarne une ligne droitière qui n'est pas pour me déplaire et sa tante, inspirée par Florian Philippot consistant à capter tous les mécontentements du pays en une ligne « droite-gauche » qui vire au gauchisme populiste version PCF des grandes heures. Je transcris ici ce papier de circonstance, pour lui-même d'abord, ensuite parce que les réactions qu'il a suscitées (155 !) me poussent à écrire une réponse que j'enverrai demain : 

« En refusant tout alliance, MLP maintient son parti hors d'un système qui ne demande pas mieux...

            À l'heure où s'ouvre le congrès du FN, un sondage révèle que 64 % des sympathisants FN sont favorables à des alliances avec l'UMP, au moins aux régionales. La netteté de ce chiffre jette un doute sur la légitimité interne de la stratégie « zéro alliance » choisie par la présidente et son grand inspirateur Florian Philippot.

            Cette stratégie est simple, ou sommaire : UMP et PS faisant la même politique (prémisse contestable), il faut récuser toute alliance avec l'un quelconque de ses membres, miser sur une symétrique démobilisation des électeurs UMP et PS-PC, recueillir tous les mécontents à la fois et atteindre 50 % seul, puis gouverner avec les seules forces du parti : restons purs ! Cette stratégie entre facilement dans les têtes : dénoncer l'UMPS et par là l'ensemble de la classe politique fait d'autant plus recette que celle-ci la mérite, tandis qu'une double déconsidération frappe Nicolas Sarkozy et François Hollande. Les élections européennes ne l'ont-elle pas montré ?

            Oublions qu'une participation de 40 % situe les 25 % des listes FN à 10 % des inscrits... La stratégie « zéro alliance » que M. Philippot habille de gaullisme est de toutes façons démente et suicidaire. D'abord de Gaulle, s'il n'a jamais résumé la France à la droite ou à la gauche, ni jugé que l'on puisse gouverner sans faire appel à l'ensemble des Français, a toujours été opposé, en 46 comme en 58, en 65 comme en 68, à la gauche – en 65, il eut bien besoin du CNI... Surtout, faire des voix et gouverner n'est pas la même chose : seul gouverner compte, sauf à jouer à la politique comme on joue ou foute ou plutôt comme on en blablate au café. Or, le moment où tout se joue, le second tour des présidentielles, rend nécessaires des alliances : gagne celui qui rassemble son camp. Refuser toute alliance c'est sous couvert de se démarquer de la droite, retomber dans les ornières du boulangisme, du poujadisme ou de la Marche sur Rome, qui reprirent toujours le vieux « ni droite ni gauche ». C'est surtout s'empêcher de remporter l'élection cardinale et d'exercer le pouvoir – à moins de le prendre par la force puis de confondre l'État et le Parti – confusion encore plus catastrophique quand le parti est dépourvu de culture d'État.

            J'ai connu assez de membres ou sympathisants du FN ces dernières années pour savoir que la stratégie de la Présidente n'y est guère majoritaire. Ils suivent, certes, devant les succès électoraux et l'autorité d'une direction qui éjecte quiconque ne la suit pas – dans le mur. Mais gare à 2017 : si Marine Le Pen ne se ravise pas et donc ne gagne pas, elle portera la lourde responsabilité d'avoir maintenu son parti hors d'un Système qui, au vrai, ne demande que cela. Combien plus menaçante serait pour lui une vaste union des droites, majoritaire dans le pays et capable de gouverner ! En refusant toute alliance, en perpétuant le piège de Mitterrand, en marginalisant la part la plus subversive de l'électorat, Le Pen permet au Système de dormir sur ses deux oreilles – bien gardé par les sectaires des deux bords, les uns ne voulant pas entendre parler d'UMP, et les autres de FN. Comme je préfère les sympathisants aux militants toujours si purs – et si durs d'oreille... »

jeudi 4 décembre 2014

Mercredi 3 décembre deux mil quatorze ; visites et donc Paris, toujours, où la vie est tant dissipée, mais point désagréable...

Le nouveau maire de Grenoble vient de faire ce que tout maire attaché à sa ville, je veux dire à la beauté ou le simple agrément de sa ville ou de son village, devrait faire d'urgence, interdire les panneaux publicitaires. J'ai fait lundi soir un touitte sur le sujet – vérifiant avec satisfaction que les touittes portant sur l'environnement sont les plus souvent repris : bueno !  Mais j'ai trouvé hier un communiqué de l'In-nocence qui en dit plus long et que Maître Camus, que je viens de féliciter par téléphone, tourne toujours à merveille ; du coup, je le recopie ici, en fidèle de l'In-nocence.

Communiqué n° 1777, lundi 24 novembre 2014

Sur le bannissement de la publicité à Grenoble

Le parti de l’In-nocence salue avec la plus totale approbation et même avec enthousiasme la décision de la ville de Grenoble de bannir de ses rues la publicité. Pareille mesure est parfaitement conforme à son propre programme, qui, bien entendu, porte également et a fortiori sur les accès des villes et les routes de campagne. Au demeurant il ne se préoccupe pas seulement de la publicité mais de la signalétique en général, qui selon lui doit être considérablement réduite, ainsi que le permettent à présent les moyens modernes de communication, d’information et de géolocalisation.


Le parti de l’In-nocence, dans cette perspective, espère que la ville de Grenoble n’a pas l’intention d’allouer à la communication municipale ou autre, et moins encore à l’endoctrinement idéologique ou à l’exaltation vertueuse du vivre-ensemble (comme dans les malheureuses églises...) les espaces reconquis sur la publicité. À cet égard il juge regrettable que le dit « manque à gagner » entraîné par la sage mesure prise doive être compensé par des réductions sur les frais de représentation et de protocole, deux domaines qui lui sont également chers et qui doivent selon lui être préservés, au même titre que l’espace public vierge de propagande d’une espèce ou d’une autre.

Mardi 25 novembre deux mil quatorze, Paris

Quitter Paris dès que possible et m'enfermer solitaire dans le tranquille prieuré de Mirebeau, je ne pense plus qu'à cette joie, sans cesse remise – à cause des maudites visites...


L'auteur est Virgile : « Dans le vide immense, je regarde l'irrémédiable s'accomplir ». Mais, à regarder la version originale, c'est-à-dire latine, à réfléchir au personnage que fut Virgile, j'en viens à douter que la traduction classique, celle que j'ai donnée, soit exacte. Y revenir, dès que j'ai une minute – une minute ou une heure, mais il faut aussi que mes livres avancent, nom d'une pipe !

Lundi 24 novembre deux mil quatorze, Paris.

L'hiver, du moins les temps sombres, sont tombés d'un coup, ce matin. Il ne se voit plus aucune feuille aux pauvres branches sur lesquelles s'ouvrent les trois hautes fenêtres du salon – très visité ces jours-ci depuis que P. m'a convaincu de passer une annonce dans un journal spécialisé. Du coup, on ne voit plus que les murs presque aveugles de je ne sais quel département de l'Institut catholique, qui font à présent un omniprésent et triste vis-à-vis. Il faudrait, si j'en avais, tirer les rideaux sur cette grisaille et allumer les lampes dès quatre ou cinq heures de l'après-midi – ce que je fais d'ailleurs, et qui change du tout au tout l'atmosphère du grand appartement. S'annoncent, pour régner sur ces vastes pièces, trois ou quatre mois de jours sans soleil, ce qui ne fait certes pas un argument de vente. Pourtant, il faut bien vendre, tant est basse ces temps-ci la phynance – basse, certes, elle l'est, au point d'être en dessous, très en dessous même, du niveau de la mer.


            Ne vaudrait-il pas mieux attendre les premiers beaux jours de mars ou d'avril ? Cette lumière, aussi douces et soyeuses soient les soirées et les nuits de l'hiver, tout l'attend déjà, comme si la diaprure des gris, si parisienne pourtant, et si charmante à bien des égards (ah!, les nuits longues !), n'était qu'une sombre anomalie. L'autre jour, feuilletant un livre de peinture qui me suit depuis des décennies d'havre en havre (« La peinture française contemporaine »), que je garde toujours sous la main parce qu'il montre de très belles reproductions aux couleurs intactes, et que j'expose sur un lutrin en bois ornant l'une des maies de Mirebeau en tournant de temps en temps ses pages de sorte qu'il forme un tableau changeant, feuilletant ce grand livre, donc, je tombais en d'admiration sur le fameux Dufy.


           Du coup, j'ai repensé tout à l'heure à notre séjour de Collioure, puis ai passé une grande heure à regarder sur internet, qui les restitue mieux que je ne l'aurais pensé, quelques toiles de Matisse, puis la vie de Matisse, puis celle de Seurat, de Manet, etc. En vint une rêverie sur la concordance de la France et de la Lumière : le coq du « jour se lève », qui est l'éternel coq gaulois annonçant le jour, le goût médiéval du rouge, celui des broderies, des enluminures et des tournois, les châteaux clairs de la Renaissance tout ouverts sur la campagne angevine ou tourangelle, les lumières du Roi-Soleil et les jours ensoleillés de Fragonard ou Watteau, la Lumière qu'ont cherchée les Lumières et celle que difractent les trois couleurs du drapeau national – Dufy, justement... La lumière est si bien dans le génie de la France que l'hiver qui la recouvre soudain de brumes n'est qu'un rideau baissé le temps d'un entracte.

mercredi 3 décembre 2014

Dimanche 23 novembre deux mil quatorze, Paris.

Bien trop nombreuses visites, depuis la parution de l' « annonce »... Du coup, ce journal prend du retard. Mais que dire quand il y a tant à dire, chaque jour et presque chaque heure ? Et quand tout ce que j'ai écrit nécessite d'être relu, précisé, complété ?

            Relisant mon « entrée » d'avant-hier, je m'étonne d'avoir écrit que toute la classe politique française me paraissait nulle. Et pourtant, c'est bel et bien ce que je pense ; je crois même, à présent, que la France ne compte plus aujourd'hui un seul homme d'État digne de ce nom.

            Je le vois de mieux en mieux : ce fut par désespoir que j'ai soutenu en 2012 Marine Le Pen ; je lui trouvais une fraîcheur, une liberté de pensée, de ton et d'initiative plus grande qu'elle n'en avait vraiment. Et c'est sans doute à tort que j'ai espéré (ce sera bien là mon dernier espoir politique...) que son élection voici presque quatre ans, à la tête du FN (dont elle voulait, m'avait-elle dit à plusieurs reprises, changer le nom), lui permettrait de changer ce parti de fond en comble, puis de le transcender pour réunir tous les morceaux épars de la droite nationale, tandis que celle-ci, après la défaite de Nicolas Sarkozy et les interminables avanies de l'UMP, dérivait sans programme, sans paradigme rassembleur, et surtout sans chef. Le SIEL devait l'y aider, tête chercheuse de ce rassemblement qui était bien la dernière chance de redresser la France.

            Hélas, hélas, hélas!, Marine et son inspirateur Philippot ont fait tout le contraire, rejetant en bloc toutes les droites qui n'étaient pas intégrables dans Le Parti, le « dédroitisant » même, l'enfermant dans une rhétorique « ni droite ni gauche » qui l'a privé de tout partenaire, donc de toute chance d'accéder un jour au pouvoir, et plus encore de l'exercer ; et le rejetant finalement dans les vieilles ornières « anti-Système » de l'extrême droite la plus banale. De cette salutaire stratégie « union des droites », il m'a bien fallu faire mon deuil, et depuis je ne vois plus, plus du tout, ce qui peut empêcher la France de rouler au chaos...


            En somme, c'était pour moi (et c'est encore pour beaucoup de bonnes personnes) Marine comme dernière chance d'éviter l'inévitable, en somme « Marine ou rien », « Marine ou le Chaos ». Or, l'esprit ne pense pas que ce puisse être le rien qui gagne : pourtant, c'est finalement ce qui va arriver : Rien, c'est-à-dire le Chaos, lequel me semble désormais inévitable, en sorte qu'il n'y a pas mieux à faire que vendre ce que l'on possède pour s'en aller vivre calmement à la campagne « regarder dans le vide immense l'irrémédiable s'accomplir », comme disait je ne sais plus qui – Lucain ? Virgile ?  Et guetter les lumières qui s'allument dans la grisaille, et qui annoncent peut-être, après les froidures de l'hiver français, un printemps qui puisse lui aussi être français...